Résidence d’artiste.

Les « résidences d’artiste » résultent presque toujours d’appels d’offres rédigés selon la politique du moment par la Direction Régionale des Affaires Culturelles.
Ici ce schéma administratif, inadapté à une expression artistique ancrée dans la vie, a été inversé.
En 2008, j’ai présente un « projet très argumenté » à un groupe hospitalier, la FONDATION HOPALE avec qui j’ai " vendu " mon projet aux fonctionnaires de la DRAC pour le financer.

Pendant quelques semaines, je me suis installé chaque jour à 14 h dans un vaste couloir superbement éclairé. Les patients y allaient et venaient à leur rythme, entre leurs chambres et les salles de soins.
J’installais autour de moi quelques sculptures déjà réalisées et j’affichais aux murs des textes, fruit de rencontres au cours des jours précédents.
Rapidement je retrouvais des visages connus, nous nous appelions par nos prénoms et je me laissais gagner par une gaieté ambiante qui faisait souvent mon étonnement. Tantôt je modelais dans un flot de fauteuils roulants, saluant d’un sourire les uns et les autres. Tantôt j’étais au centre d’une joyeuse bande discutant bruyamment. Parfois, de regards croisés en confidences, des conversations graves et intimes s’engageaient, toujours respectées par les visiteurs occasionnels qui d’instinct passaient leur chemin…

Il arrivait aussi que nos échanges portent sur mon travail, le modelage en cours ou le sens de ma présence dans ce couloir…
Certaines conversations avaient pour point de départ mes textes dont la composition attirait le regard de loin et qui étaient lisibles d’un fauteuil roulant grâce à la taille des caractères…

 

À Berck en hiver.

Vous roulez sur des roues silencieuses et provisoires…
Sourire… combat… longue attente… soleil et vent…
Vos visages et vos regards vous tiennent lieu de silhouette. Je me suis assis.
Vous vivez ce qui peut-être me tuerait… Je vous écoute et regarde…
Vos expressions sont directes et calmes, vous semblez ne plus rien redouter.
Sur ma petite chaise, je travaille dans ce long couloir.
Mes mains vont et viennent suivant le rythme de mes sensations.
Je vous reconnais dans la terre que je sors de mon seau en plastique.
Vous êtes autour de moi et nous nous reconnaissons…
C’est l’heure du kiné… reflet de soleil… à tout à l’heure…
Combien coûte une sculpture comme celle-ci ? Celle d’hier est-elle finie ?
Serez-vous là demain ?  Bientôt je retournerai chez moi à Papeete.
Séance de pédalage à la salle de gym, promenade sur la digue…
Et ce couloir envahi de lumière… Tu commences un nouveau modelage ?
C’est Francis ? J’acquiesce et souris… Non c’est de la terre glaise…
Vous êtes ici depuis longtemps ?  Récupération, attente, prothèses…
Tout est long, tout est à réinventer… Je peux faire des photos ?
Ma femme viendra vendredi et les enfants peut-être…
As-tu vu passer Frédéric ? À demain !
Bonsoir.

Entre deux modelages des photos me venaient qui souvent, préparaient les modelages suivants.

Tout en parlant...

 

DEMANDE D'AUTORISATION

Ai-je le droit de déposer une chanson au pied de la misère du monde ?
Ai-je le droit de négocier la photo d’un enfant affamé ?
Ai-je le droit de regarder celui dont le corps ne correspond plus à ses rêves ?
Ai-je le droit de modeler les hanches ou le sourire d’une belle jeune-fille ?
Ai-je le droit de sourire à celle dont le visage ne sait plus traduire ses pensées ?
Ai-je le droit d’espérer ou de rire ?
Ai-je le droit de rêver d’une rencontre sans objet ?
Ai-je le droit de me révolter le ventre plein ?
Ai-je le droit de parler sans savoir ?
Ai-je le droit de trouver mon plaisir dans le vol d’un oiseau ?
Ai-je le droit d’écouter ce qu’elle ne sait pas cacher ?
Ai-je le droit de regarder simplement ?
Ai-je le droit d’être là ? Dites-le-moi.

 

Ici une Maman et son fils avec qui je conversais l’instant précédant, sous les yeux d’une infirmière.

 

TRÈS SPEED.

Le visage anguleux, le poil dru, il m’a d’abord expliqué que c’était un fauteuil de basket. Ce n’est pas le dernier modèle, mais il est très maniable et rapide. Assis devant ma sellette, une boulette d’argile dans la main, je le regardais cultiver son image de sportif… Vous faites partie de l’équipe de Berck ? Tournant sur lui-même, en équilibre sur les roues arrières ; oui ! j’ai un entraînement ici dans un quart d’heure.

Ce n’est pas si souvent que je croise la passion et une balle, ça se relance !… J’ai suivi un match à la télé…  C’était rapide et spectaculaire… et dangereux aussi, surtout pour les mains et les doigts… Le fauteuil retombe et vigoureuses, les deux mains osseuses me montrent leurs cicatrices. Je suis né avec un problème… mais je peux marcher. Je peux marcher… enfin, pas trop longtemps, mais je peux marcher. Tenez, comme lui, je peux marcher lentement, je peux… enfin, pas longtemps, parce que… après ce sont les épaules et le dos qui trinquent et tout s’en suit…

Ils ont voulu m’opérer, mais j’ai refusé. Je suis comme je suis, c’est la réalité, je suis comme ça. S’ils m’opèrent, je ne sais pas comment ce sera après… On me demandera, je ne sais quoi. Comment cela tournera ?

Les bras pendants, vrillés sur lui-même : c’est un autre modèle, un fauteuil américain, un peu lourd, le mien est très léger, il n’est plus tout neuf, mais entièrement réglable, avec des boyaux, oui des boyaux gonflés à dix bars… en trois tours de roue je suis à 30 km/h !

Moana partageait avec tous le soleil de Papeete. Il se battait contre les conséquences d’une chute de vélo qui avait eu lieu là-bas quelques mois plus tôt et qui l’a emporté quelques semaines plus tard.

Souvent en me regardant travailler vous louez ma patience… et cela me parait incongru.

QUELLE PATIENCE !

De la patience ?
De la patience pourquoi ?
De la patience pour écouter et voir ?
Patienter pour respirer avec vous le temps comme il coule ?
Pour fixer dans la terre vos silhouettes, cheminant, roulant, boitant… me souriant ?
Dans ce long passage où je vous rencontre, je connais la surprise et le trouble…
Mais pourquoi diable aurai-je besoin de patience ?… Pourquoi ?
Je patiente sur le quai, le train surviendra peut-être ?
Je patiente, face à l’administration…
Je patiente sur le périphérique.
Je patiente ?

PATIENCE.

De séances de kiné…
en soirées solitaires, vous patientez.
D’espoirs déçus en confiance retrouvée, vous patientez.
Vous patientez jusqu'à ce que vos priorités d’hier vous semblent naïves,
jusqu'à sentir la joie simple dans un sourire échangé comme au fond de vous-même.
Vous avez perdu votre superbe en même temps que votre solitude.
Vous patientez dans un temps qui vous appartient.
Je suis content d’être avec vous.
et d'apprendre.

Colette dont les expressions changeantes tentaient de suppléer à l’aphasie.

Anne, médecin spécialiste

Cette dame m’a gentiment donné l’autorisation de montrer son image par un signe du regard.

La toute jeune Sarra et ses parents ; tous trois très angoissés par une paralysie récente à l'issue imprévisible.

André, travailleur acharné et « son » Kinésithérapeute.

Francis, le chanteur des rues qui réapprenait à marcher et à chanter après un AVC. J’ai chanté avec lui dans ce couloir d’hôpital et nous sommes resté en contact jusqu'à sa mort. Francis me manque.

Frederic qui depuis l’enfance est entièrement dépendant de l’hôpital, le regard pétillant me racontait son parcours.

Moana cité plus haut respirait la joie de vivre.

Des personnalités et des destins très différents se rencontraient autour de moi.
Annie était en convalescence, tandis que Yannick, conducteur de poids lourd il y a quelques mois,  ne remarchera jamais.

Séverine m'a confié comment lui est venu de tellement tenir à la vie et je ne suis pas près de l'oublier.

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